Or cet éminent coptologue
en est convaincu: il existe encore des évangiles à découvrir.
Et en attendant, celui de Judas permet de lever le voile sombre qui recouvre
la figure de son auteur,
dont la traîtrise a alimenté l'antisémitisme durant des
siècles.
Rodolphe
Kasser:
Il a d'abord fallu le restaurer,
ce que personne n'avait fait jusqu'ici. J'avais déjà travaillé
sur d'autres papyrus, dont on pouvait déplacer délicatement
les morceaux avec des brucelles. Mais ici, dès que l'on touchait un
fragment, il se cassait en morceaux encore plus petits. Alors,
si vous voulez avoir une idée de l'ampleur de la tâche, imaginez
que l'on déchire un cahier en 2000 morceaux et qu'il faille ensuite
reconstituer le puzzle.
swissinfo:
Vous êtes parvenu à
rassembler les trois quarts de cet évangile. Est-ce que les morceaux
manquants pourraient contenir des passages importants qui auraient pu changer
la signification du texte?
R.K.:
C'est certainement complètement
différent, mais cela n'a pas de conséquences théologiques
majeures. Je me suis aussi posé la question: est-ce que cela altère
la foi et la croyance ? Et
la réponse est non, cela ne change pas grand-chose, parce que la foi
chrétienne est centrée sur Jésus Christ. Judas n'est
qu'un des disciples. Par contre, ce texte lève l'opprobre jeté
sur son nom.
swissinfo:
Pourtant, le pape Benoît XVI a encore répété la
semaine dernière que Judas était un traître...
R.K.:
Je trouve plutôt stupide
de dire que cet évangile confirme l'idée que Judas a trahi Jésus
par appât du gain et du pouvoir. Car ce n'est pas vrai du tout. Je
vois plutôt Judas comme quelqu'un qui veut en savoir plus. Pour lui,
comme pour tous les gnostiques, c'est la connaissance qui apporte le salut,
et les fausses croyances qui empêchent l'homme de se développer.
C'est une idée à laquelle la Bible n'est nullement opposée.
swissinfo:
Serait-ce la peur qui a motive la réaction de l'Eglise?
R.K.:
Pour moi, c'est plutôt la paresse intellectuelle. Les gens ne veulent
rien changer à ce qu'ils ont toujours cru. J'ai observé ce type
de réaction également dans la ville d'Yverdon, où je
vis.
Quelqu'un que je connais
bien m'a dit qu'il était contre cette découverte, simplement
parce qu'il n'aimait pas l'idée que Jésus et Judas aient pu
comploter ensemble.
swissinfo:
Pensez-vous que l'Eglise devrait un jour revoir le Nouveau Testament ?
R.K.:
L'Eglise ne cesse d'étudier le Nouveau Testament. Mais elle devrait
le faire aussi lorsque de nouveaux textes apparaissent. On ne peut pas se
contenter de dire «il ne sert à rien d'en tenir compte, puisque
nous savons déjà tout».
swissinfo:
A quel accueil vous attendez-vous pour l'évangile de Judas de la part
du public ?
R.K.:
Je ne m'attends à rien. J'ai juste dirigé la traduction du manuscrit
pour le rendre accessible au public. Lorsque je me retrouve face à
un document comme celui-ci, j'espère simplement trouver quelqu'un qui
soit prêt à s'atteler à la tâche très ingrate
de le restaurer, de le photographier et de l'éditer.
Ce qui est vraiment regrettable,
c'est de voir que des objets archéologiques, qui sont toujours de précieuses
sources d'informations, puissent être détruits sans même
avoir été examinés. C'est comme si vous aviez un témoin
que personne ne veut entendre. Même s'il y a de fortes chances que ce
témoin soit un menteur, vous devez lui donner la possibilité
de parler. Et désormais, Judas a eu cette possibilité.
Interview de swissinfo :
Adam Beaumont à Genève
(Traduction et adaptation de l'anglais: Marc-André Miserez)