Le
Minbar
de la mosquée Al Aqsa
à Jérusalem
ou
comment
après quarante ans
de recherches et de travaux
un chef-d'oeuvre de l'art islamique
du XII ème siècle
retrouve sa place
après avoir été détruit par un fou
le
minbar original de Saladin avant sa destruction par le feu en 1969
Le
Minbar
est une chaire à degrés, placée à droite
du mihrâb, du haut de laquelle l'imam prononce le prône
lors de la prière solennelle du vendredi.
Le Mihrab
souvent décoré avec deux colonnes
et une arcature, est une niche qui indique la qibla,
c'est-à-dire la direction de la ka'aba à La Mecque
vers où se tournent les musulmans pendant la prière.
Il est souvent au milieu du mur de la qibla.
A préciser
que le mihrab n'a jamais été préconisé par Mahomet.
En effet, cette innovation date de la fin du premier siècle de l’Hégire
qui désigne le départ des compagnons de Mahomet
de La Mecque vers l'oasis de Yathrib,
ancien nom de Médine, en 622.
l'ensemble
mihrab et minbar de la mosquée - madrasa
Sultan Hassan au Caire construite
par le sultan Mamelouk Hassan entre 1356 et 1363
La
Ka'aba à La Mecque
Avant de devenir le premier lieu saint de l'Islam, ce monument cubique
dans lequel est enchâssée la"pierre noire" était
probablement un temple. De très nombreuses légendes
s'y rattachent … l’une prétend que Mahomet qui investit
les lieux ordonna la destruction des 360 idoles qu’il contenait sauf
une celle de Meryem la mère de Jésus vénérée
par les musulmans.
Al-Masjid
al-Nabawi à Medine
Ou la mosquée du prophète, deuxième lieu saint de l’Islam
où se trouve la tombe du prophète Mahomet. Elle fut intégrée
au moment de l’agrandissement de la mosquée ordonnée par
le calif Omeyyade Al Walid. Mahomet s'éteint à Médine le
8 juin 632. Il décède suite à une fièvre douloureuse.
Il a environ 63 ans. Sa tombe est creusée à l'endroit même
de sa mort.
Cependant,
les théologiens de l'islam ont été unanimes à juger
le mihrab comme
une bonne innovation religieuse.
Certaines sources voient dans le mihrab un ajout architectural, permettant l'amplification
de la voix de l'imam, qui lui permet d'être entendu par les fidèles
qui prient derrière lui.
Cet ajout a été repris, en un peu plus grand, dans les églises
orientales (byzantines, arméniennes
et maronites), auquel a été ajouté une coupole centrale,
qui offrait une amplification
encore meilleure de la voix de l'officiant.

Un des
plus remarquables mihrab
de l'art arabo-musulman, est celui qui se trouve dans la Grande Mosquée
de Kairouan en Tunisie ;
c'est également l'un des anciens mihrabs les mieux conservés
du monde islamique.
Sa précieuse
décoration, datant du IX ème siècle, se distingue par
des plaques en marbre blanc finement sculpté et ajouré couvrant
le fond de la niche.
Le mihrab de la Grande Mosquée de Kairouan, avec ses ornements en marbre
et en céramique à reflets métalliques, est considéré
comme l'un des chefs-d’œuvre de l'art musulman du IX ème
siècle.
le
mihrab et le minbar actuel de la mosquée Al Aqsa après sa mise
en place en 2006
Le
Minbar
de la mosquée Al Aqsa
Une
épopée de quarante ans
pour reconstruire un chef-d'oeuvre unique le l'art islamique
après son irrémédiable destruction
par un australien fou en 1969


Le matin du 21 août 1969 un jeune
berger australien
du nom de Dennis Michael Rohan mettait
volontairement le feu
à la mosquée Al Aqsa à Jérusalem
En fuite il fut arrêté
deux jours plus tard. Prétendant avoir obéi
à un ordre divin,
il fut jugé malade mental et extradé.
Par
contre son geste enflamma
une fois de plus les tensions au Moyen Orient
et infligea une irrémédiable blessure
au monde islamique.
Le minbar,
chaire de la mosquée,
avait été entièrement détruit par le feu.
Symbole de la victoire islamique,
pièce maîtresse et chef-d’œuvre
de l’art islamique, le minbar dit de Saladin,
avait été construit à Alep au XIIème siècle.
Constitué
de milliers de pièces de bois précieux
sculptées s’imbriquant les unes dans les autres,
elles formaient un ensemble homogène
tenant sans colle ni clous.
Il ne subsistait que très peu d’images
de la chaire originale.
Al
Aqsa dans les années 1900
la
porte du minbar du XII ème siècle
C’est
un professeur d’origine bédouine Minwer el Meheid,
directeur des Traditions de l’Art et de l’Architecture Islamique
de l’université Al Balqua à Amman en Jordanie, qui releva
le défi sans aucune hésitation pour reconstruire une fidèle
réplique du minbar.
Mais la tâche s’avéra très lourde.
Reproduire les dessins compliqués après la perte dans le temps
des traditions artistiques, surmonter les obstacles, redécouvrir techniques
et savoirs perdus depuis des centaines d’années et les mettre
en œuvre.
Le jeune jordanien Prince Ghazi bin Muhammad, professeur de philosophie, écrit
dans la préface
d’un livre consacré au Minbar de Saladin : Un chef-d’œuvre
islamique vaut mieux qu’une centaine de discours et quand les gens le
voient ils disent
« C’est vraiment beau malgré que ce
soit islamique et non parce que c’est islamique »
plutôt que
« C’est islamique parce que c’est vraiment
beau »



La
mosquée Mezquita de Cordoue,
autre chef-d’œuvre de l’art arabo-musulman est unique en
son genre.
Commencée en 786 par Abd al Rahman 1er, premier émir omeyyade
de l’émirat de Cordoue,
elle couvrira, après de nombreuses extensions, une superficie de 23.000
m².
Particularité, elle n’est pas orientée vers La Mecque
mais
vers Damas, le lieu de naissance de Al Hakam II, deuxième calife des
omeyyade, qui a ordonné la construction du mihrab encore visible aujourd'hui.
La mosquée a été construite par des syriens, ils ont
donc orienté la mosquée comme à Damas où la qibla
est orientée au sud.
Mais
au XVIème siècle, probablement à la demande de Charles
Quint,
une cathédrale de style plus ou moins renaissance fut construite en plein
milieu de la mosquée par l’architecte Hernan Ruiz vers 1530, défigurant
pour partie le chef-d’œuvre.
L’archiduc et prince des Espagnes
eut à l’égard de Ruiz cette phrase :
« Monsieur ! vous avez détruit ce que l’on
ne voit nulle part pour construire ce que l’on voit partout »
La
Mezquita - 850 colonnes et 850 chapiteaux différents
Le mihrab de la Mezquita de Cordoue
Après
l’incendie, le roi Hussein de Jordanie, dont la position comme chef de
la famille royale Hachémite en fit le gardien de la mosquée Al
Aqsa, ordonna le début des travaux pour la reproduction fidèle
du minbar.
En attendant une chaire provisoire
fut mise en place.
Dès lors surgirent d’insurmontables problèmes et ce n’est
qu’en 2006 que le roi Abdallah de Jordanie put déclarer que le
vœu de son père avait enfin été exhaussé.
Hussein
souverain hachemite de Jordanie
jusqu'en 1999
Abdallah
II
actuel souverain et fils de Hussein
depuis 1999
Les
rois de la dynastie Hachemite sont tous descendants du prophète Mahomet.
Hussein
était
le
42ème du nom
Le premier problème
fut le petit nombre
de représentations existant du minbar, structure unique qui avait
été élaborée à Alep dans les années
1160 impliquant des milliers de pièces de bois très complexes.
Il ne subsistait que très peu de photos
et seulement quelques fragments calcinés
à partir desquels on pouvait travailler.
Aucun détail
ni plan quant à la géométrie très élaborée
mise en œuvre ni aucune indication sur la manière dont était
assemblé le minbar. Quand des graphistes, pourtant experts, tentèrent
de recréer les dessins,
ce fut un échec. Aucun d’eux n’avait
les connaissances mathématiques
ou géométriques pour arriver au bout de leur mission.
Au fil des années,
toutes ces connaissances avaient été perdues. La construction
du minbar devenait un casse tête. Même si
les dessins avaient été recréés le savoir-faire
et le talent nécessaires pour son assemblage restaient inexistants.
Des années passèrent …





En
1980 le conférencier et professeur d’architecture Keith Critchlow
commença
un cours sur l’Art Islamique au Royal College
of Art de Londres qui aboutit à un livre
"Islamic Patterns" (Les Motifs Islamiques)
qui développait l’art de la géométrie sacrée.
Une nouvelle école fut mise en place à Londres et en Jordanie
pour la préservation de l’Art Islamique et Occidental.
Ainsi naquit une nouvelle génération d’artisans forgés
aux savoirs traditionnels. Toutefois les frustrations, quant au projet inachevé
de la construction du minbar de Saladin, grandissaient.
En 1994 le roi Hussein lança
une compétition internationale afin de trouver « le dessinateur
concepteur ». Beaucoup tentèrent et beaucoup échouèrent.
Le possible lauréat fut Minwer el Meheid qui découvrit le livre
de Critchlow dans une obscure boutique de Damas.
Minwer passa plusieurs
années à trimer sur
les graphismes, voyageant dans nombre de pays afin d’étudier
les méthodes de constructions
et les techniques artisanales.
Même la collecte
et le choix des bois fut une épreuve. Le minbar d’origine était
fait de bois
de cèdre et de noyer. Seul ce dernier fut retenu pour la réalisation
de la réplique.
Un artisan
turc repéra les arbres idéaux dans les montagnes reculées
non loin de la frontière entre l’Iran et l’Irak. Les arbres
abattus ne purent être transportés qu’à la fin de
l’hiver, les voies d’accès étant impraticables et
trop étroites en toutes saisons.
Après quatre mois de séchage le bois fut acheminé vers
un atelier à Al Salt près d’Amman. Le nombre d’artisans
capable d’avoir le savoir faire nécessaire pour la réalisation
du minbar était très réduit.
Minwer se mit donc en quête de les débusquer.



Une
équipe de vingt artisans fut mise en place à Al Salt en 2002
venant de Turquie, d’Egypte, de Jordanie et d’Indonésie.
Le bout du tunnel était en vue.
Après quatre années de labeur, l’œuvre achevée
mesurait 6 x 4.5 mètres,
et était constituée de 16.000 pièces manufacturées.
Toutefois
il a fallut surmonter un dernier obstacle. Les conflits en Israël ne
permettaient pas le transport du minbar de Jordanie à Jérusalem.
Six mois plus tard
il fut enfin installé dans la mosquée Al Aqsa.
Minwer el Meheid déclara alors à ses artisans :
« Peu importe comment vous imaginez la fin, mais quand vous la voyez
vraiment, vous réalisez que ces 16.000 éléments que vous
avez façonné, assemblé, sans clous ni colle, apparaissent
tout à coup comme une seule et même œuvre,
alors chacun de vous se sent humble».
Al
Salt, lieu de la deuxième naissance du Minbar de Saladin
Le minbar de Saladin, aujourd'hui,
dans la mosquée Al Aqsa